MarieAlster
Je raconte mes rêves
Du plus loin que je me souvienne, j'ai toujours raconté mes rêves. C'était une activité familiale lorsque j'étais enfant et cela m'a suivie ensuite, dans d'autres circonstances.
On devrait intégrer cela aux programmes scolaires. Parce qu'il faut savoir apprendre de ses rêves, écouter les histoires qu'ils nous racontent. Des histoires dont nous sommes les héros.
Septembre 2017
Je longeais la mer sur le chemin côtier, mon sac en bandoulière, des chaussures légères aux pieds. Des pins et des arbustes bordaient la mince voie de terre, me cachant la mer et les îlots sableux qu’on pouvait rejoindre à la nage. A mes côtés marchait une autre femme, malade comme moi, à qui la plage avait été prescrite dans un but thérapeutique. Le vent était léger et doux, c’est à peine s’il faisait ondoyer nos cheveux. Une trouée au milieu des pins me montra une petite crique que la mer avait envahie, formant là comme un bassin calme d’eau verte où nageaient de beaux animaux bruns. « Ce sont des chiens » me dit la femme à mes côtés. « Non, dis-je, ce sont de petits ours, leurs longs poils ondulent au gré des courants chauds ; ils rejoignent le banc de sable, tu vois, un peu plus loin, ils vont s’y allonger, s’y sécher au soleil. » Je m’arrêtai, contemplai les mouvements souples des animaux dans l’eau. Je voulais les rejoindre, nager au milieu d’eux, les approcher jusqu’à sentir leurs longs poils bruns me caresser la peau, ondoyer, comme eux, dans l’eau qui m’envelopperait tout entière. « Viens, me dit la femme en m’attrapant le bras, ce n’est pas le programme, on nous attend plus loin, notre place n’est pas ici. »
décembre 2016
Nous travaillons dans la maison. Nous attaquons le gros oeuvre, démolissons pour les rebâtir différemment d'épais murs de pierres. Le soleil entre par la porte laissée ouverte sur le jardin. Il fait bon et le travail avance bien.
En bougeant une pierre, nous sentons une ouverture dans le vieux mur, comme une alcôve. En regardant par le trou qui s'est formé, nous distinguons des formes étranges, petites et blanches sur un sol de sable. Nous appelons un spécialiste. Il vient et creuse un peu plus l'ouverture. Il se penche, fronce les sourcils. "Ce sont les restes d'un bébé" dit-il gravement en relevant la tête.
Alors je plonge mon bras entre les pierres, touche un à un les petits os. Je sens les larmes qui montent, je tombe à genoux, mets tout en désordre à l'intérieur de la tombe. Et puis j'entends, stridents et désespérés, les cris d'une femme. Elle pleure, elle hurle: "mon enfant! mon enfant!". Sa voix se brise. Je voudrais qu'elle se taise, qu'elle cesse de crier, de pleurer, je voudrais qu'elle s'en aille, qu'elle ne soit déjà plus là. Mais c'est impossible, je ne peux pas, je ne peux plus m'arrêter.
mai 2016
J’ai une maladie étrange. Les traits de mon visage ont changé, mon crâne aussi s’est modifié, la longueur et la texture de mes cheveux ne sont plus les mêmes. Je ne m’en suis pas rendu compte tout de suite, ne percevant qu’une image floue de mon reflet dans le miroir. Lorsque je parviens enfin à me voir telle que je suis devenue, je distingue une personne qui me rappelle vaguement moi, quelque chose dans le regard sans doute. Tout le reste s’est épaissi : des sourcils broussailleux ont poussé sur l’arête des orbites, les yeux se sont enfoncés dans le visage, le menton est carré et court, la peau grasse et marquée, ma bouche n’est plus que deux lèvres sèches et sans expression, j’ai des cheveux courts, épais, un peu hirsutes. Mon père est formel : il déclare que c’est incurable. Pourtant, n’étant pas fataliste, je vais voir un spécialiste. Il me dit que peut-être, avec quelques hormones… Un jour, je vois apparaître des progrès dans le miroir : mes cheveux ont poussé, un peu, ils ondulent de nouveau à présent. L’ovale de mon visage s’est reformé et ma peau est plus lisse. Je souris, fière d’avoir gardé confiance, d’être redevenue une femme.
novembre 2015
Depuis quelques temps, je me suis mise au chant, je chante du rock un peu mélancolique d'une voix puissante et claire. Chanter me procure un plaisir et une joie immense mais petit à petit je me suis mise à avoir de très fortes douleurs dans les jambes lorsque je chante. Des blessures à vif, comme des escarres , se sont creusées au milieu de mes cuisses et me gênent beaucoup pour marcher
octobre 2015
Ma chef a choisi le petit coin Napoléon III pour recevoir son hôte, un maître de la Haute Couture qui crée des vêtements exubérants à base de poils et de fourrures. Le thé est servi sur le guéridon entre eux, ils le boivent avec beaucoup de manières, les lèvres froncées tant il est encore chaud. Le créateur est assis bien au fond de son fauteuil, ses grandes jambes croisées lui cachent son menton, et il lisse parfois sa moustache tout en parlant. On a fait installer pour l’occasion du matériel de projection, de sorte que nous voyons défiler ses créations sur l’écran en même temps qu’il nous les commente. Car je suis là moi aussi, nue et debout près de l’accoudoir de ma chef, les écoutant sans comprendre ce qui m’amène ici et m’oblige à rester dénudée. Je fixe l’écran, cela me donne une contenance, et puis les créations sont superbes, manteaux aux cols dansants, robes au tombé vertigineux.
Ma chef repose sa tasse et sans me regarder, dit à son hôte : « Vous voyez, elle pourrait fort bien vous servir pour l’un de vos défilés. Croyez moi cher ami, vous ne le regretterez pas, vous prendrez ce que vous voudrez. »
L’homme n’a pas l’air convaincu, il balaie mon corps du regard, jauge la qualité des cheveux, leur masse, le grain de la peau, et sans doute bien d’autres choses.
« Que voulez vous que j’en fasse ? » lance-t-il à ma chef, « elle n’a même pas de poils »
Elle a un geste virevoltant de la main, comme on chasse une mouche insistante : « c’est sans importance voyons, vous prendrez sa peau. »
avril 2015
Je quitte une réunion pour me rendre à l'hôpital où je dois passer une échographie. Je dois insister pour qu'on me prenne parce que finalement, on m'avait oubliée.
Sur l'image, je vois une ligne claire dessiner des courbes sur un fond noir, je pense au dessin d'un fleuve sur une vue aérienne, à un chemin de montagne. Je dis: "c'est drôle cette ligne, on dirait qu'elle disparaît dans une zone de brouillard... une zone...une zone blanche..."
mars 2014
Je ne sais plus où sont les autres, sans doute un peu plus loin, je me suis attardée au fond du magasin, je ne les ai pas vus partir. Ils doivent être au bricolage, je les rejoindrai.
Je regarde autour de moi les outils de jardin et les sacs d'engrais, les rayons sont larges et presque vides, ils courent jusqu'en haut des murs.
Je m'attarde sur de petites boîtes en carton décorées de représentations d'enfants. Chacune est différente: il y a des filles et des garçons, des petites filles sages et des plus coquines, des petits garçons en casquette. Difficile de choisir, ils sont tous si jolis!
Je me renseigne auprès d'un vendeur. Il s'agit de véritables petits enfants, sous forme de graines, à faire pousser dans la terre. Il m'en montre un échantillon, une petite pousse verte et fière dans un pot en verre. "C'est très facile, me dit-il, il n'y a qu'à mettre la graine en terre puis à bien arroser. L'enfant sera superbe".
mars 2013
J'habite une grande et belle maison, de celles qui illustrent les livres pour enfants, avec une façade droite et claire, au fond d'un jardin arboré. J'habite ici, je m'y sens bien je crois, même si on ne peut habiter que le rez-de-chaussée et le deuxième étage, celui qui ressemble à un grenier aménagé, avec des petites chambres mansardées et un couloir étroit. Le premier étage ne doit servir à personne, il est à peine autorisé de s'y promener. J'aime y flâner pourtant, toucher du plat de la main le cuir du bureau, les velours, les soies sur les murs. Les meubles sont tous à leur place, tout est propre, calme.Les parquets sont cirés, il y a des plaids sur les canapés, des tableaux pour décorer.
Depuis le jardin, les fenêtres de l'étage paraissent un peu inquiétantes. Toujours désertes, elles font des trous sombres et vides dans la belle façade.
Peut-être qu'un jour je vendrai la maison. Mais sans l'étage fantôme. Celui-ci est à moi.
septembre 2009
Je suis au travail, dans un lieu qui ressemble à une clinique de repos au milieu des montagnes. Je vais d'un bureau à l'autre, les choses sont difficiles à mettre en place. Je téléphone, debout derrière la longue baie vitrée, face au jardin en contrebas; je regarde la forêt qui couvre les collines. C'est alors que je vois arriver du fond du ciel quelque chose qui tourne sur lui-même et qui fonce comme un avion qui s'écrase, une bombe qui va toucher la terre. C'est un arbre, un sapin auquel il ne reste plus une épine, ocre et desséché. Je le regarde venir sur moi et je note la belle harmonie de ses branches mortes, les courbes impeccables de ses racines. Il arrive de je ne sais où - il tombe peut-être des étoiles? Je m'attends à ce qu'il détruise tout en touchant le sol, j'imagine le bruit sourd de la terre, les vitres qui tremblent et qui se brisent. Mais l'arbre tombe en silence, les racines tournées vers moi. Je le regarde un instant et je me retourne. Du même point du ciel, loin vers l'ouest, à l'horizon, je vois venir sur moi toute une nuée d'arbres morts. Cette fois, je ne leur échapperai pas.
mai 2009
Je suis allongée sur le sol, torse nu, mais je ne sens pas le froid du carrelage. Les enfants sont près de moi. Monamour tient dans sa main un scalpel et fait entre mes seins une incision verticale de quelques centimètres. Il en écarte les bords délicatement et en recueille un liquide clair et doux comme l'eau d'une source. De ses petites mains rondes de bébé, Louise referme l'incision en aplatissant bien les bords. Alors, je peux commencer à boire. C'est très bon, comme le jus que laissent les fruits au sirop; et je sens que ça me fait du bien. Je sais que c'est une sorte d'elixir qui vous rend heureux pour la vie. Je lèche les rebords du verre pour en boire les dernières gouttes.
mars 2009
J'ai un rendez-vous pour le boulot dans un immeuble de bureaux. L'immeuble est en arc de cercle et date sans doute des années 80, avec des balcons en plexiglass marron. Je discute un peu avec le type qui travaille là et lui fais remarquer que la plupart des appartements sont en vente dans son immeuble. Je m'approche de la baie vitrée et compte les pancartes de mise en vente: 16 appartements à vendre. Et puis on entend du bruit dans le couloir du dessous, des coups de feu tirés avec une arme automatique. Le type me pousse dans une pièce de l'autre côté du couloir. Il se met au fond de la pièce, derrière une table, et me passe une chaise pour que je me cache derrière. On entend des pas monter à notre étage. La porte de notre pièce est restée ouverte, je suis juste en face. Dans la pièce à côté, une femme se met à tousser, une quinte de toux qui n'en finit pas et qu'on devine inévitable. Je regarde par l'espace entre l'assise de la chaise et les montants en fer et je vois le tueur en face de moi. Il est calme, debout dans l'ombre du couloir. Sans relever son arme, il la recharge d'un simple mouvement du poignet et je sais, cachée derrière ma chaise, que les premières balles seront pour la femme à côté et que les suivantes seront pour moi.
août 2008
Nous emmenons notre bébé chez le dentiste car dans le monde où nous vivons, les bébés ont une visite obligatoire chez le dentiste avant leurs 6 mois.
Le dentiste regarde les gencives de notre petite fille, masse avec énergie sa mâchoire du bas et en extrait un tout petit caillou brillant. Il nous le montre et nous en vante le scintillement à la lumière en nous disant qu'il s'agit d'un alliage d'os ancien et de diamant. "Madame, ajoute-t-il, je vous conseille de vous en faire un bijou." Monamour place donc le petit caillou au coin de mon oeil et le laisse là, là où naissent les larmes.